Le 15 mai 1919 marque le début de la grève générale de Winnipeg. Bien que le nombre de grévistes soit incertain, environ 30.000 ont participé [1]. Ensemble, ils ont réussi à paralyser la ville jusqu’à l’effondrement de la grève à la fin de juin par la suite d’une pression gouvernementale. Une grève de cette amplitude est l’aboutissement de plusieurs facteurs, notamment l’instabilité de la société à la suite de la Première Guerre Mondiale.
Image: Des anciens combattants contre la grève se rassemble près de l’hôtel de ville le 4 juin 1919. Archives de Manitoba (N12296).
Les effets déstabilisateurs de la guerre sont devenus omniprésents dans la société, avant même que celle-ci se termine en 1918. Les plaintes préexistantes des travailleurs, notamment les longues heures, conditions de travail difficiles et les salaires insuffisants, étaient aggravées par les demandes des industries en temps de guerre. En conséquence, les industries souffraient des perturbations de travail de fréquence accrue : en 1917, 47 000 jours de travail ont été perdus et 84 000 ont été perdus en 1918 [2]. Le retour de la paix dans le monde n’a pas apporté des remèdes à ces maux. En raison d’un taux faible de consommation, les entreprises de toutes tailles ont ralenti ou ont mis fin à leur production. Les actions de la commission impériale des munitions, l’agence qui a coordonné la production en temps de guerre et qui était, à cette époque, la plus grande entreprise au Canada, sont représentatives: environ 290 000 travailleurs ont été mis à pied endéans quelques jours de l’armistice entre autres mesures d’austérité [3]. Avec le retour graduel des anciens combattants, le marché du travail était devenu encore plus saturé et les perspectives économiques se sont assombries. Cette combinaison de taux de chômage élevé et perturbations de travail a créé une situation économique instable.
La grève générale a été le résultat de l’escalade de plusieurs conflits de travail au Winnipeg, notamment la friction entre les conseils qui représentaient les ouvriers métallurgistes et des travailleurs de la construction. Les demandes des grévistes (une hausse de salaire, l’amélioration des conditions de travail, des heures de travail plus courtes, et la reconnaissance des syndicats) n’étaient rien d’exceptionnel. Malgré cela, ce mouvement réformiste était présenté comme étant un complot révolutionnaire mené par des étrangers. Cela s’explique en grande partie par le climat politique de 1919. On pense souvent que la « première peur rouge » (l’hystérie anti-communiste à la suite de la révolution d’Octobre et la guerre civile russe) était centrée aux États-Unis, mais c’était un phénomène mondial affectant également le Canada.
Le 19 mai, The Winnipeg Citizen (un journal) a proclamé que la grève était une révolution qui viser à « détrôner les institutions et la justice britanniques » pour établir la « dictature du soviet » [4]. D’autres journaux ont adopté ces thèmes en ajoutant la xénophobie. The Leader, un journal de Regina, a publié un article le 28 mai expliquant que les « bolcheviks » de Winnipeg devraient être expulsé du Canada; The Herald, un journal de Calgary, était moins subtil, décrivant, dans un article publié le 18 juin, la grève comme étant un conflit entre « les blancs » et les « étrangers » [5]. Face à ces accusations, la démographie de Winnipeg n’a pas aidé la situation. L’immigration d’avant la guerre, qui a élevé la population de Winnipeg de 42 000 en 1901 jusqu’à 136 000 en 1911, a inclus des nombreux peuples du centre et de l’est de l’Europe (les mêmes qui étaient visés par les xénophobes en raison de leur « connections » avec des anciens ennemis (l’Allemagne et L’Autriche-Hongrie) et les bolcheviks) qui ont établi les communautés séparées et isolées [6].
Dans ce contexte, les événements de la grève deviennent plus compréhensibles : le pragmatisme de ceux qui voulaient mettre fin à la grève et une crainte réelle d’une insurrection violente ensemble empêchaient une résolution pacifique. Les policiers de la police montée du Nord-Ouest (PMNO) étaient envoyés des renforts qui augmentaient leur nombre jusqu’à 272 en juin; simultanément, les milices ont reçu plusieurs milliers de bénévoles avec l’intention pour étouffer la grève [7]. Les policiers civils étaient renvoyés le 9 juin, car ils étaient jugés comme étant trop sympathique pour les grévistes. À leur place, le gouvernement a embauché environ 1800 « specials », une formation comprenant que des anti-grévistes, pour renforcer leur nombre [8]. L’arrestation des chefs de la grève le 17 juin, et une confrontation violente le 20 juin, où les officiers du PMNO ont tiré sur les grévistes, faisant un mort et plusieurs blessés, ensemble ont mis fin à la grève [9]. Les événements de Winnipeg sont incompréhensibles sans le contexte de la Première Guerre Mondiale, qui était important pour intensifier des perturbations de travail en un événement plus marquant.
Références
[1] McNaught, Kenneth and David Bercuson. The Winnipeg Strike: 1919. Don Mills, Ontario: Longman Canada Limited, 1974, 45. Entre 24.000 et 35.000 grévistes ont participé selon les auteurs.
[2] McNaught and Bercuson, The Winnipeg Strike: 1919, 11-12.
[3] Cook, Tim. Shock Troops: Canadians Fighting the Great War, 1917-1918 Volume Two. Toronto: Penguin Canada, 2008, 602.
[4] Unknown author. “Not a Strike – a Revolution! The Strike Situation in Winnipeg.” The Winnipeg Citizen, May 19th, 1919. Taken from Rea, J.E. The Winnipeg General Strike edited by David Gagan and Anthony Rasporich. Toronto: Holt, Reinhart and Winston of Canada, Ltd., 1973, 32.
[5] Rea, The Winnipeg General Strike, 56-60; 90. [9] McNaught and Bercuson, 3.
[6] McNaught and Bercuson, The Winnipeg Strike: 1919, 3.
[7] Bercuson, David. Confrontation at Winnipeg: Labour, Industrial Relations, and the General Strike. Montreal & Kingston: McGill-Queen’s University Press, 1990, 167-168.
[8] Bercuson, Confrontation at Winnipeg, 154.
[9] Ibid., 172-174.