« C’était simplement l’Enfer! » : La bataille du mont Sorrel, juin 1916.

Une photo d'un abri détruit au ou près du mont Sorrel
« Mont Sorrel » [Titre ASE]. Fonds A.S. English, Collections CCGG 2016.3.1.2-53

Le 2 juin 1916, la bataille du mont Sorrel a commencé. Éclipsée par les grandes batailles de 1916, Mont Sorrel fut néanmoins un moment important pour le Corps canadien encore jeune. Le premier jour de la bataille a été le « baptême du feu » de la 3e division et le combat, surtout la contre-attaque canadienne le 13 juin, a enseigné des leçons utiles, mais coûteuses.

Situés dans le saillant d’Ypres, le mont Sorrel et les collines 61 et 62 avoisinantes offraient une vue dominante des environs et étaient les dernières positions surélevées encore détenues par les Alliés dans la région. La crête de l’Observatoire, qui longeait sur un axe est-ouest, était une autre position importante: si capturée, elle offrait aux Allemands un point de vue à partir duquel ils pourraient observer et tirer sur les lignes alliées au nord et sud. Cela obligerait une retraite ou détournerait des réserves des préparations offensives évidentes au sud dans la région de la Somme pour la reprendre.

Une carte de la bataille du mont Sorrel du 2 au 13 juin 1916.
Carte basée sur « The Battle of Mount Sorrel, 2-13 June 1916 » en G.W.L Nicholson « Official History of the Canadian Army in the First World War. Canadian Expeditionary Force, 1914-1919. » Les succès initiaux des Allemands les 2 et 3 juin étaient largement renversés par la contre-attaque canadienne du 13 juin.

La 3e division canadienne tenait un front d’à peu près deux kilomètres centré sur ces hauteurs. Le réseau de tranchées dont ils ont hérité laissait beaucoup à désirer, mais un effort incohérent a été fait pour améliorer en creusant des tranchées plus profondes et en construisant des abris. Cela s’explique en partie par les temps humides de ce printemps-là qui transformaient les tranchées en un bourbier qui était assez dur à maintenir et encore plus à améliorer. La pénurie d’unités de main-d’œuvre était un autre facteur crucial: toute construction serait tombée sur l’infanterie qui portait déjà une lourde charge et nombreux officiers hésitaient à ajouter à ce fardeau. L’absence de coordination avec l’artillerie limitée dans les environs pour des bombardements défensifs était une autre faiblesse de la position. Ces omissions – étrange même dans une période relativement calme au front – sont d’autant plus inexplicable en raison des signes évidents d’une attaque allemande imminente. Les patrouilles révélaient une augmentation d’activités des ingénieurs allemands et des rapports notaient que l’artillerie additionnelle se concentrait dans la région. Un indice final et indéniable des intentions des Allemands se présentait quand des tranchées d’entraînement qui ressemblaient aux lignes canadiennes étaient découvertes à l’arrière du front allemand par la reconnaissance aérienne. Bien que les Canadiens prenaient des mesures pour corriger ces erreurs au début de juin, les jours suivants prouveraient qu’ils étaient trop peu et trop tard. 

L’offensive allemande a commencé le matin du 2 juin 1916 avec un bombardement intense de quatre heures et demie le long d’un kilomètre du front canadien. Les tranchées peu profondes offraient peu de protection et des positions entières et leurs occupants étaient dits disparaître sous la puissance de feu. Sans grande surprise, les soldats restants offraient une résistance tenace où ils pourraient, mais ils ont été obligés de se retirer ou, lorsqu’ils étaient encerclés par l’avance allemande, se rendre. Les pertes des unités de première ligne qui étaient sur l’axe principal de l’attaque sont énormes. De 702 soldats du 4e bataillon du Canadian Mounted Rifles (4e C.M.R.), seuls 76 se présenteraient à l’appel le lendemain, un taux de perte de 89% [1]. Situé à leur gauche, le 1er bataillon du Canadian Mounted Rifles (1er C.M.R.) s’en sortiraient légèrement mieux, perdant  556 de ses 692 soldats pour un taux de perte de 81% [2]

Quand ces figures sont examinées de plus près, on voit que la bataille de mont Sorrel est un des rares cas où des Canadiens furent capturés en grand nombre. Des 3842 Canadiens capturés au cours de la guerre, 536 sont faits prisonniers durant cette bataille, principalement les 2 et 3 juin [3]. Parmi ces prisonniers se trouvait le brigadier-général Victor Williams qui inspectait le front avec le major-général Malcolm Mercer le matin de l’attaque. Alors que Mercer était tué par le bombardement, Williams était blessé et ne pouvait pas échapper l’avance allemande, devenant le prisonnier de guerre canadien de plus haut rang de la guerre. Son rang lui assurerait un certain confort en captivité qui n’était pas partagé par les nombreux simples soldats capturés. Parmi eux se trouvait le soldat Hazelton Moore du 1er C.M.R., qui était blessé et fait prisonnier durant l’attaque. Il passerait le restant de la guerre en divers camps de prisonniers de guerre allemands avant qu’il soit rapatrié en janvier 1919.

Sac de trousse du soldat Hazelton Clifford Moore (104613), 1er bataillon du Canadian Mounted Rifles. Collections CCGG.

Alors que le 1er et 4e C.M.R. étaient les plus durement touchés, les autres unités dans les environs n’ont pas échappé des lourdes pertes. Les Princess Patricia’s Canadian Light Infantry (PPCLI) furent dévastés par le bombardement et le combat acharné qui a suivi. Charles Douglas Richardson, un soldat avec le PPCLI, a décrit le combat dans une lettre à la maison qu’il a écrite le 4 juin pendant son hospitalisation pour une blessure qu’il a reçue deux jours plus tôt.

« J’espère que je n’aurai plus jamais à revivre ça. C’était simplement l’Enfer! […] Notre régiment a été presque oblitéré. Environ 40 entre nous sont retournés des deux compagnies qui tenaient la première ligne. La compagnie No. 1 situé à notre droite ont tous été tués ou faits prisonniers, pas un seul homme ne s’est retourné.  [Le] No. 2 qui est la compagnie avec laquelle j’étais était capable de les retenir toute la journée et la nuit jusqu’à temps que leur artillerie a rasé nos tranchées et nous a laissé avec seuls 40 hommes, nombreux entre eux blessés. » [4]

La résistance du PPCLI sur le flanc, ainsi que le 5e bataillon du Canadian Mounted Rifles (5e C.M.R.) au Maple Copse, a réussi à endiguer l’avance allemande, gagnant du temps pour que les renforcements puissent arriver. Les Allemands, réticents à poursuivre l’attaque en force, avançaient leur front par entre 550 et 650 mètres de leurs positions de départ du matin [5]. Avec les hauteurs sous contrôle, ils commençaient à fortifier leur nouvelle ligne.

Le lieutenant-général Julian Byng, récemment nommé le commandant du Corps canadien, a ordonné une contre-attaque immédiate pour reprendre le terrain perdu. L’attaque, qui sera menée par des éléments de la 1re et 3e Divisions, était fixée pour 2h 00 cette nuit même. Cependant, des délais dans le rassemblement des troupes et dans les communications ont reporté l’attaque qu’après l’aube le 3 juin. Pire encore, les Canadiens manquaient des pièces d’artillerie et ils étaient mal coordonnés avec l’artillerie qui leur était disponible. L’échec des unités de commencer leurs attaques simultanément était le dernier clou dans le cercueil. La plupart des unités n’atteindraient même pas les tranchées allemandes et se sont retranchées sous un feu nourri après avoir avancé aussi loin qu’elles osaient. Le soldat George Adkins du 49e bataillon a écrit d’une telle expérience dans une lettre du 5 juin envoyée à sa mère:

« Ça a été tout simplement terrible[.] Je ne peux pas la décrire en mots mais je sais qu’il  n’y a rien eu de pire dans cette guerre. […] Nous avons dû charger en plein jour mais ils étaient prêts pour nous et ont ouvert un feu affreux sur nous[.] Nous avons pris quel refuge nous pouvions dans les anciennes tranchées et étions là toute la journée. […] J’étais touché sur la tête environ quatre fois mais mon casque en acier m’a sauvé. Ensuite j’avais une balle qui passait à travers de la gamelle attachée à mon dos. » [6] 

Nombreux autres n’ont pas partagé la chance remarquable d’Adkins et ont été tués dans cette attaque mal organisée. Parmi les morts était le Sergent Ernest King du 14e bataillon. Un vendeur avant la guerre, il s’est enrôlé avec le premier contingent à Valcartier comme soldat et a gravi les échelons jusqu’à sa promotion à Sergent en septembre 1915. Peu d’hommes du premier contingent ont survécu jusqu’à 1916; il y en aura encore moins qui verraient la fin de la guerre.

Plaque du Souvenir, Sergent Ernest William King (26217), 14e bataillon. Collections CCGG. Une plaque du souvenir (souvent appelée un « sou de mort ») a été remise au plus proche de chaque membre du personnel de l’Empire britannique décédé durant la Première Guerre mondiale.

Suite à cet échec, des préparations ont été faites pour une deuxième contre-attaque. Pendant que ceux-ci étaient en cours, les Allemands ont saisi le village environnant d’Hooge le 6 juin, repoussant à nouveau les lignes alliées. Prudemment, la décision a été prise de concentrer les efforts à reprendre les hauteurs. Un grand nombre de pièces d’artillerie était détourné vers la région, amenant le nombre de canons à 218 [7]. Un feu nourri a été porté contre les tranchées allemandes et un effort a été fait pour neutraliser les batteries d’artillerie allemandes; ce premier effort a été largement un succès tandis que ce dernier n’était que légèrement réussi. Quand la contre-attaque renouvelée s’est lancée le matin du 13 juin, les soldats canadiens ont traversé le terrain accidenté et ont recapturé une bonne partie du terrain perdu après une heure de combat. Les tentatives allemandes pour reprendre les hauteurs ont été arrêtées relativement facilement par les tirs d’armes légères et l’artillerie canadienne, mais les nombreuses pertes étaient néanmoins prises pendant que les Canadiens enduraient un lourd bombardement dans leurs nouvelles positions.

C’est facile de voir la bataille du mont Sorrel comme une autre débâcle de la Première Guerre mondiale: le Corps canadien a subi environ 8700 pertes durant un combat au cours duquel le front a à peine bougé [8]. Certes les événements du 2 au 4 juin correspondent à cette caractérisation à la lettre. Cependant, la contre-attaque du 13 juin contraste vivement ses échecs et devait être reconnue comme partie de la courbe d’apprentissage du Corps. Plus précisément, le succès du 13 a été atteint en réalisant que l’artillerie avait la responsabilité d’affaiblir les lignes ennemies, neutraliser leur artillerie au plus grand degré et d’être capable de disperser des contre-attaques au fur et à mesure qu’ils développaient. Couplé avec les leçons apprises à la bataille de la Somme plus tard dans l’année, mont Sorrel fut une étape importante dans en développant la doctrine de la coordination étroite de l’infanterie et l’artillerie et la préparation minutieuse d’artillerie qui guideront le Corps canadien à ses succès en 1917 et 1918. 


Références:

[1] G.W.L. Nicholson, Official History of the Canadian Army in the First World War. Canadian Expeditionary Force, 1914-1919 (Ottawa: Queen’s Printer, 1962), 149.

[2] Donnés pris de l’entrée du journal de guerre du 1er CMR du 2 juin 1916. Accédé via Canadian Great War Project, War Diaries Viewer

[3] Desmond Morton, When Your Number’s Up: The Canadian Soldier in the First World War (Random House of Canada, 1993), 207-208. Seulement la 2e bataille d’Ypres en a vu un plus grand nombre de Canadiens capturés (1410). Ypres et Mont Sorrel sont les deux seuls cas de la Première Guerre mondiale où les Canadiens se rendaient en masse.

[4] Lettre de Charles Douglas Richardson du 4 juin 1916. Accédé via le Canadian Letters and Images Project.

[5] Nicholson, CEF, 1914-1919, 150.

[6] Lettre de George Adkins du 5 juin 1916. Accédé via le Canadian Letters and Images Project.

[7] Nicholson, CEF, 1914-1919, 151.

[8] Tim Cook, At the Sharp End: Canadians Fighting the Great War, 1914-1916, Volume One (Toronto: Penguin Canada, 2007), 375.


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