Alors que la Première Guerre mondiale éclate en août 1914, les hommes embrassent leurs chéries et leur promettent d’être rentrés pour Noël.
Il s’agit d’aurevoirs sincères et d’assurances que la relation amoureuse reprendrait comme s’il ne s’était rien passé à leur retour. Certains couples choisissent de se marier avant le départ des hommes pour l’Europe, mais la plupart considère que ce n’est pas nécessaires. Un ancien étudiant écrit à sa petite amie,
«J’ai été surpris d’entendre les échos de plusieurs mariages entre des gens du M.A.C [Manitoba Agricultural College], je ne savais pas que Salked et Mlle. Park pensaient déjà à passer à cette étape de leur relation.»1
Les couples qui choisissent d’attendre croient que leurs amoureux reviendront rapidement au pays. Mais, alors que la guerre se poursuit en 1915, puis en 1916, pour plusieurs Canadiens, les relations amoureuses d’avant-guerre commencent à s’effriter.
Maintenir une certaine romance dans les tranchées est extrêmement difficile pour les soldats canadiens. Si, par chance, leurs lettres arrivent à Montréal ou Toronto 14 jours après leur envoi, il faut au moins deux semaines supplémentaires pour que le courrier se rende à destination.2 Au fil du conflit, il n’est pas rare que des missives ne se rendent jamais à destination, puisque la stratégie allemande de guerre sous-marine à outrance affecte l’entièreté du transport maritime de l’Entente. De plus, les lettres des soldats sont soumises à une censure rigoureuse afin d’éviter les fuites d’informations confidentielles et secrètes. Pour plusieurs soldats, la présence du censeur signifie qu’ils n’osent pas être particulièrement romantiques dans leurs lettres, de peur d’être lu par un autre. George Timmins écrit à sa femme, s’excusant que ses lettres soient
«aussi dépourvues d’émotion qu’un écolier écrivant une dissertation sur l’horticulture,» expliquant que «ce n’est pas dû à un manque d’amour de ma part, mais bien à la peur de l’œil du – censeur.»3
Bien que 89% des Canadiens soient lettrés au début de la guerre, l’écriture de lettres romantiques demande de respecter une certaine étiquette qui n’est généralement pas enseignée aux Canadiens de la classe ouvrière, présentant une embûche supplémentaire au maintien d’une relation à distance.4 Ces soldats savent écrire, mais ont souvent de la difficulté à exprimer leurs sentiments envers leurs partenaires. Ainsi, les lettres en provenance des tranchées mettent à l’épreuve certaines relations amoureuses, les petites amies restées au Canada souvent frustrées par la fréquence des correspondances et par le peu d’émotions qu’elles expriment. David McLean écrit à sa femme au début 1917,
«Bon, je n’ai pas reçu de lettre de ta part ce soir, mais Mr. Grant reçoit bien les siennes. Mais rien pour moi alors après celle-ci je t’écrirai seulement quand tu m’écriras. J’imagine que vous au Canada avez bien du bon temps que vous ne pensez pas à ceux qui sont ici à endurer toutes ces épreuves pour eux, mais peu importe, les choses seront différentes après la guerre. Nous prendrons soin de nous d’abord, alors au revoir.»5
Les soldats canadiens ont aussi l’opportunité de tisser des liens pendant leur séjour en Europe. Il n’est pas rare que certains se sentant seuls tentent de passer du temps avec de jeunes Belges ou Françaises lorsqu’ils sont derrière la ligne de front. En fin de compte, seuls quelques centaines de mariages résultent de ces rencontres. Ceci s’explique en partie par la barrière de langue, mais aussi par le fait qu’un officier supérieur détient l’autorité d’empêcher l’union officielle d’un couple s’il le souhaite. De plus, bien que les troupes du Corps Expéditionnaire canadien passent environ 30% de leur temps hébergées dans les villages à l’arrière du front, il est plutôt rare qu’une même unité se retrouve plus d’une fois dans le même village, laissant peu de temps aux soldats de développer une relation amoureuse.6
Il y eut toutefois plusieurs milliers d’unions entre Canadiens et Britanniques durant la guerre. L’absence de barrière de langue, une culture semblable, ainsi que de plus longues permissions passées à Londres expliquent le nombre élevé de mariages. Un officier en particulier, Lieutenant Bert Drader confie à sa tante
«[qu’]il fallait environ trois mois pour voir toute la place, et peu importe dans quelle direction on regarde, les filles sont comme des nuées de moustiques, et tout aussi affectueuses.»7
Même pour les soldats qui survivent au conflit, se marient et rentrent vivre au Canada, l’après-guerre est difficile, et leurs relations en souffrent souvent. Plusieurs reviennent au pays avec de lourds problèmes de consommations, d’alcool ou de tabac, et on estime que plus de 15 000 soldats sont victimes d’obusite. 8Pour ces derniers, leur système nerveux est si fragile qu’il leur est souvent difficile de conserver un emploi stable. L’un d’entre eux, Bert Mason, un vétéran devenu alcoolique, passe d’un emploi à l’autre jusqu’à ce que sa femme en ait assez et retourne en Grande-Bretagne avec leur fille.9 Il est souvent difficile pour les vétérans de réintégrer complètement la vie civile, alors que leurs épouses ne sont pas en mesure de comprendre leur expérience du conflit et les horreurs qu’ils ont vécues.
Finalement, un nombre important de soldats abandonnent tout simplement leurs femmes ou fiancées après la guerre, les laissant se débrouiller seules. Avant 1914, les divorces sont rares, alors que seulement 11 ont été approuvés en 1900. En 1919, le Sénat en approuve 55, puis 98 l’année suivante. Les provinces des Prairies ayant obtenu le droit d’accorder le divorce en cour provinciale, il y a 112 divorces en Alberta en 1920. Le Manitoba en compte 42, et on y recense 1 100 demandes au total, la grande majorité étant rejetée.10 Finalement, bien que la Première Guerre mondiale ait permis plusieurs mariages entre soldats canadiens et femmes britanniques, il est fort probable que le conflit ait aussi causé des dommages parfois irréparables à bon nombre de relations amoureuses.
Notes:
- Dan Azoulay, Canadian Romance at the Dawn of the Modern Era, 1900-1930. (University of Calgary Press, 2011), 168. [Traduction libre] “I was surprised to hear of the many weddings among M.A.C. [Manitoba Agricultural College] people, I did not know that Salkeld & Miss Park were even thinking of such a step.”
- Martha Hanna, Anxious days and tearful nights : Canadian war wives during the Great War. (McGill-Queen’s University Press, 2020), 6.
- Hanna, Anxious days and tearful nights, 67. [Traduction libre] “as unemotional as a schoolboys essay on horticulture,” explaining “that its not the lack of love on my part, but fear of the eye of the — censor.”
- Hanna, Anxious days and tearful nights, 235.
- Hanna, Anxious days and tearful nights, 62. [Traduction libre] “Well I haven’t got any letters from you tonight yet Mr. Grant gets his all right but none for me so after this I will just write to you when you write to me. I suppose you people over in Canada have such a fine time you never think of those that are out here putting up with all those hardships for them but never mind after the war things will be different. We will look after ourselves first so goodbye.”
- Tim Cook, At The Sharp End: Canadians Fighting the Great War, 1914-1916. (Viking Canada, 2007), 382.
- Azoulay, Canadian Romance, 189. [Traduction libre] “it would take about three months to see all through the place, and it don’t make any difference which way you turn, the girls are as thick as mosquitoes and quite as affectionate.”
- Hanna, Anxious days and tearful nights, 157.
- Hanna, Anxious days and tearful nights, 154.
- Hanna, Anxious days and tearful nights, 181.
Par: Catherine Rudnicki
Traduction: Florence Regimbald-Roy